Appel à communications Centre Georges Chevrier, UMR 7366 Histoire de la coopération : expériences et pratiques
Selon le Comité économique et social européen, l’Union européenne comptait en 2010 plus de 200 000 coopératives regroupant 4,7 millions de travailleurs. Avec les mutuelles et associations elles forment un tiers secteur bigarré unifié sous l’appellation d’« économie sociale et solidaire » censé se distinguer de l’économie capitaliste par sa quasi non-lucrativité et des principes de fonctionnement démocratiques. Promu par des acteurs très divers depuis la crise financière de 2008, le mouvement dit coopératif regroupe des sociétés privées dont le capital est détenu par ses propres salariés, ses clients ou ses consommateurs qui élisent les dirigeants. Né au XIXe siècle, parallèlement à l’industrialisation et à la promotion du libéralisme, le mouvement coopératif entendait civiliser le processus en instaurant des remparts contre les nouveaux risques économiques et sociaux. L’effondrement du monde soviétique, le recul de l’engagement économique et social des États du fait du néolibéralisme, et l’incapacité des sociétés capitalistes à répondre au défi de la mondialisation, de l’accroissement des inégalités et des ravages écologiques, a redonné une nouvelle vigueur à l’idéal coopératif à la fin du XXe siècle. Il fait aujourd’hui l’objet d’une intense promotion, l’Alliance coopérative internationale a redéfini les principes fondateurs du mouvement en 1995 et l’ONU a par ailleurs décrété une année internationale des coopératives en 2012.
Les coopératives se présentent souvent comme des formes économiques et sociales alternatives. Sans cesse instrumentalisées et de formes très variables, elles regroupent aujourd’hui des organisations extrêmement diverses dont la structuration est souvent d’une grande complexité. Au-delà de l’étude des entreprises et des organisations fédératives, le présent appel porte sur les pratiques ordinaires des sociétaires et des coopérateurs, c’est-à-dire sur la dimension sociale de la coopération. Les coopératives naissent et meurent. Aborder la trivialité de la vie quotidienne en coopérative implique de s’interroger sur les logiques de fonctionnement d’un groupe qui se fixe un horizon d’attente élevé, de sonder les logiques démocratiques et hiérarchiques, la nature des échanges et les mécanismes de la décision : une coopérative est une communauté humaine qui repose sur le principe de confiance et fonctionne comme toutes les autres avec ses facteurs de cohésion et de dissolution internes, qui est confrontée à des forces extérieures attisant les tensions internes : les logiques économiques – les règles de l’économie de marché avec la concurrence, le rôle du capitalisme financier, les grandes crises cycliques, la nécessité d’une efficacité et donc d’une gestion fine, etc. –, politiques et sociales – le poids du libéralisme ou de l’étatisme, selon les États et les périodes, qui contraignent les associations ; le poids de l’idéologie dominante. Il s’agit donc de s’intéresser au travail quotidien des coopérateurs, à la manière dont ils affrontent les aléas de la vie communautaire, à la manière dont l’idéal est confronté à la réalité, amendé, édulcoré, pour que la coopérative tienne, ou pas. Au-delà de la thèse d’une inéluctable “dégénérescence” des coopératives, condamnées par la pression du marché ou de l’État à perdre leur dimension alternative, l’approche par les pratiques et le fonctionnement quotidien permettrait d’observer finement la manière dont les coopérateurs ont pu gérer ces différentes contraintes, faire des arbitrages et des compromis, et conserver certaines spécificités.
L’ambition est, de ce point de vue, de comparer les expériences coopératives dans le temps et l’espace, et de traquer la circulation des modèles à l’échelle globale afin d’élaborer des typologies et des périodisations fines de l’évolution de ces formes d’organisations. Compte tenu du sujet, c’est-à-dire de la nature internationale de la coopération, de la circulation des hommes et des expériences, il semble indispensable d’inscrire la réflexion dans une perspective comparée et transnationale. Ce qui se passe au Royaume-Uni, en Belgique, en Suisse, au Québec, en Italie est déjà assez bien étudié. Mais les expériences coopératives hors d’Europe et de l’Amérique du Nord sont nombreuses et il serait intéressant de réfléchir à la coopération en situation coloniale, postcoloniale et dans le contexte des économies émergentes, à leur rôle et aux diverses instrumentalisations dont elles font l’objet.
Le retour en grâce récent et la promotion contemporaine du modèle coopératif reste incertain, tiraillé entre plusieurs enjeux et plusieurs modèles que son inscription dans l’histoire devrait permettre d’éclairer. Il est tentant de lier l’association de production ou de consommation à la crise, mais ce lien reste à étayer et à approfondir. Dans un certain nombre de cas, dans les années 1900 comme aujourd’hui, la coopération a été encouragée par les pouvoirs publics dans une logique de paix sociale ou de désengagement de l’État, ce qui plaide en faveur d’une explication multifactorielle des rythmes et des modes de coopération.
Pour explorer cette question à nouveaux frais, le Centre Georges Chevrier propose de mettre l’accent sur trois enjeux complémentaires au cours de trois journées d’études.
1) jeudi 22 juin 2017 – Travailler en coopÉrative
La coopération représente souvent une expérience économique inédite pour la plupart des acteurs impliqués. Qu’il s’agisse des paysans, des ouvriers, des employés ou des consommateurs ; ils n’ont pour la plupart pas eu à gérer une entreprise auparavant. Leur choix soit de se former, soit d’embaucher des professionnels, a des conséquences sur le contrôle qu’ils exercent sur la coopérative. Ensuite, l’expérience qu’ils acquièrent par l’intermédiaire de l’association et de la coopérative peut être un vecteur d’émancipation, de prise de contrôle sur le processus commercial ou productif, ou alors d’embourgeoisement (ce qui est au cœur de nombreux projets de réforme sociale de la fin du XIXe siècle à nos jours). Enfin, les coopérateurs deviennent pour certains des employeurs, dont les intérêts peuvent entrer en conflit avec ceux de leurs employés, et mettre en danger le potentiel émancipateur de l’entreprise. L’organisation de ces structures de production et de service et l’organisation du travail en leur sein, les rapports sociaux au travail et l’autonomie des acteurs-actrices peuvent-ils être foncièrement différents dans les coopératives ? Jusqu’à quel point les expériences coopératives s’accompagnent-elles d’une forme de professionnalisation de la gestion d’entreprise ? Comment s’agencent les relations hiérarchiques dans ces organisations ? Comment est-il décrit/pensé, et quelles différences observe-t-on entre les discours proclamés et les pratiques observées ?
2) jeudi 19 octobre 2017 – Coopératives et modernisation
En lien avec le premier thème, l’enjeu de ce second axe serait de penser l’expérience coopérative à partir des singularités de son environnement organisationnel, matériel et technique. Les expériences coopératives participent-elles des dynamiques de modernisation, inaugurent-elles des modernités alternatives à celles du capitalisme libéral ? S’agit-il d’organisations productives et commerciales adoptant les mêmes méthodes, outils de gestion et de production, que les entreprises classiques ? La coopérative est-elle un moyen de moderniser ou un outil pour résister à des dynamiques de déqualification associées aux trajectoires successives de mécanisation et d’automatisation du travail ouvrier et paysan ? On sait par exemple que les coopératives britanniques ont inventé le self-service et de nouvelles techniques de vente alors que, dans les campagnes, des entreprises coopératives ont accompagné la diffusion du machinisme. Penser cette question de la modernisation sur la longue durée du capitalisme entre le XIXe et le XXe siècle, pose évidemment celle du rapport au capital. Les coopérateurs essaient fréquemment de minimiser le rôle du capital dans leurs organisations. Cela signifie-t-il qu’ils ne peuvent pas vraiment se moderniser parce qu’ils renoncent à investir dans le progrès technique ? Ou que la coopération n’est possible que dans des secteurs où seule la qualification compte ? Ou encore qu’il existe d’autres formes d’accumulation possible compatibles avec le modèle coopératif ?
3) jeudi 8 février 2018 – Echec et pérennisation des expériences coopératives
La troisième piste, en lien avec les deux premiers thèmes, tentera d’interroger de plus près les échecs des expériences coopératives et leur rôle dans l’histoire et la mise en récit de ces expériences économiques. Les échecs sont généralement attribués au délitement des enthousiasmes militants et à la concurrence des entreprises capitalistes décrites comme plus efficaces et compétitives. Jusqu’à quel point ces explications sont-elles suffisantes ? Qu’en est-il du manque d’expérience (et de connaissances) économiques ou gestionnaires des coopérateurs souvent présentés comme une cause majeure de l’échec ? N’est-ce pas une manière d’escamoter d’autres raisons, soit un manque de cohésion interne, soit un environnement hostile, la coalition des capitalistes contre l’entreprise par exemple ? Comment les acteurs tentent-ils de conjurer l’échec ? Comment est-il mis en scène et décrit par les acteurs de la coopération pour construire la mémoire de ces expériences ?
Conditions de soumission
Date limite de dépôt des propositions le 28 janvier 2017.
Les propositions, comprenant un titre, un résumé de 1500 signes et un court curriculum vitae, sont à adresser à .
Organisation
Alexia BLIN (Doctorante au CENA-EHESS)
Stéphane GACON, François JARRIGE (Maîtres de conférences à l’université de Bourgogne)
Xavier VIGNA (Professeur d’histoire contemporaine à l’université de Bourgogne).
CENTRE GEORGES CHEVRIER – UMR 7366 CNRS-uB
Université de Bourgogne
4 boulevard Gabriel
BP 17270 F-21072 DIJON CEDEX
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