L’entreprise comme acteur politique Appel à communications Colloque organisé par la revue Entreprises et Histoire 2-3 avril 2021

Au cours de ces dernières années, l’entreprise a été de plus en plus étudiée ou présentée, dans divers travaux, comme un acteur politique. Le sens prêté à cette expression est variable.

Pour les uns, le rôle politique joué par l’entreprise tient à son importance de fait dans nos sociétés (la polis), qu’il s’agisse de ses impacts – sur l’économie, l’environnement, les rapports sociaux, les rapports entre pays – ou de sa puissance relative, de plus en plus comparée à celle des Etats et jugée, pour certaines d’entre elles, supérieure à celle de la plupart des Etats dans le monde (Basso, 2015).

Pour d’autres, les entreprises sont des acteurs politiques parce qu‘elles assument des responsabilités qui reviendraient normalement aux Etats. Dans des pays en développement, des multinationales assument ainsi parfois des services de santé, d’éducation ou autres que l’Etat, lui, ne fournit pas : l’entreprise se substituerait aux défaillances de l’Etat. Dans les pays occidentaux, les entreprises sont aussi de plus en plus les acteurs qui, remplaçant ou complétant l’offre des Etats, fournissent des biens publics et/ou services publics (eau-gaz-électricité, courrier, téléphone, internet, transports en commun, éducation, santé, etc.), y compris dans des domaines qui engagent la souveraineté nationale (défense et sécurité nationale, exploration spatiale, etc.). Enfin, en plus de la fourniture de biens publics, les entreprises pénètrent dans la sphère de la régulation, traditionnellement réservée aux Etats, en édictant leurs propres codes de conduite et auto-régulations. Les nombreux travaux qui se sont développés autour de la notion de political CSR, telle que développée par Scherer & Palazzo (2011, 2016), insistent sur ces idées.

Pour un troisième courant, les entreprises sont des acteurs politiques car elles s’efforcent d’exercer une influence auprès des hommes politiques et hauts fonctionnaires en charge de concevoir et de décider des lois et réglementations qui s’appliqueront dans des domaines qui, directement ou indirectement, intéressent ces entreprises (Epstein, 1969 ; Stigler, 1971). Ce courant s’est institutionnalisé dans les années 1990 aux USA autour de la notion de « corporate political activity » (Baron, 1995 ; Shaffer, 1995), avant de se diffuser en Europe et en France (cf. les numéros spéciaux de la Revue Française de Gestion, en 1998, 2014, 2015). Nombre d’aspects de cette activité d’influence politique ont été étudiés : ses facteurs (caractéristiques des entreprises, des secteurs, des rapports Etats-entreprises ou des variétés du capitalisme favorables à l’engagement dans des activités d’influence politique) ; les acteurs sur qui elles s’exerce (exécutif, législatif, fonctionnaires, journalistes, experts, etc.) ; ses modalités d’action (financements de partis ou de campagnes électorales, lobbying, think tanks, financements de recherches, etc.) ; ses stratégies d’ensemble (ponctuelle/continue, défensive/proactive, etc.) ; ses formes d’organisation (profil des acteurs, ressources allouées et rattachement de ces acteurs dans l’entreprise ; action individuelle de l’entreprise ou via une association d’entreprises, etc.) ; ses résultats, tant en termes d’influence sur les choix politiques que d’impact sur les performances de l’entreprise ; enfin, plus récemment, ses modes de régulation, et notamment la régulation du lobbying (pour un aperçu de ces travaux, cf. Hillman, 2004 ; Oliver & Helzinger, 2008 ; Lawton, 2013 ; Hadani, 2017 ; Chari, 2020). Dans cet ensemble, l’entreprise exerce pour certains une activité d’influence politique qui va au-delà de son périmètre d’activité (économique) et flirte aux limites de la légitimité ; pour d’autres, l’entreprise est certes un acteur économique mais c’est aussi un acteur politique incontournable du fait de son importance et de son expertise, un acteur dont la participation aux délibérations publiques devrait être reconnue à part entière.

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Dans d’autres travaux encore, l’entreprise est un acteur politique quand elle promeut activement ou bien un projet pour la société – par exemple, le triptyque progrès/production de masse/consommation de masse porté d’abord par Henri Ford début XXe (Djelic & Etchanchu, 2017) – ou bien une certaine vision de sa place et de son rôle dans la société, comme ont pu le faire patronage et paternalisme au XIXe siècle (Debouzy (dir.), 1988) ou, début XXIe siècle, l’usage par les entreprises des idées de « citoyenneté d’entreprise » (Crane, Matten & Moon, 2008) et de « responsabilité sociale de l’entreprise » (Frynas & Stephens, 2015).

Enfin, comme l’ont montré ces dernières années encore des travaux historiographiques importants (Coll, 2012 ; Waterhouse, 2014 ; MacKenzie, 2018), la longue durée est décisive pour apprécier et qualifier l’éventuelle nouveauté, souvent surévaluée, des phénomènes contemporains (pour une discussion par ex. de la nouveauté de la RSE, cf. Hommel, 2006).

Ce colloque d’Entreprises et Histoire est ouvert à des contributions qui permettraient d’illustrer, d’approfondir, d’enrichir, de discuter ou d’historiciser ces diverses approches de l’entreprise comme acteur politique.

Que nous disent l’accès à de nouvelles archives et le renouvellement de l’historiographie sur ces questions ? Que sait-on de la variété et des transformations de cette historiographie à travers le monde ?

Quel bilan tirer des expériences de régulation du lobbying dans divers pays ? Comment la participation officielle d’entreprises à des instances d’élaboration de politiques publiques est- elle conçue et réglée d’un type de politique à un autre, d’un pays à un autre ou d’une organisation internationale à une autre ? Comment l’idée de law shopping se traduit-elle concrètement – par exemple, dans les négociations des investissements directs à l’étranger, entre entreprises et autorités des pays d’accueil ? A l’ère de l’entrepreneuriat et des start-up nations, quel rôle politique jouent start-ups et entrepreneurs ? Comment varient les modalités d’action politique des entreprises, selon les pays d’origine et d’accueil des IDE et M&A – et selon quels critères avant tout (pays développés, émergents, en développement ? Etat régalien, opérateur, prescripteur ou régulateur ? variétés de capitalisme ?) ? Comment les stratégies politiques des multinationales vis-à-vis d’Etats étrangers influencent-elles les négociations de traités d’échange de leur pays d’origine avec ces pays d’accueil ? Avec le renouvellement des acteurs de la politique (ONG et méga-coordinations d’ONG, réseaux internationaux de recherche, organisations multi-partites) et la montée de formes d’ « autorité politique privée » (Kobrin, 2015), comment se renouvelle l’action politique des entreprises ? Et globalement, après un demi-siècle de travaux (de Vernon, 1971 à Doh, 2015 et Boddewyn, 2016), quelles sont aujourd’hui les nouvelles lignes de force des rapports entre multinationales et Etats ?

La théorie de la capture réglementaire, qui forme depuis près de 50 ans l’arrière-plan théorique dominant des travaux en matière d’action politique des entreprises, résiste-t-elle à ses mises en cause croissantes, tant théoriques (Croley, 2011 ; Christensen, 2011) qu’empiriques (Hadani, 2019) ? Quels en sont les renouvellements et quelles sont ses alternatives ? Pour cerner et interpréter l’action politique de l’entreprise, les séparations politique/économique, public/privé, Etat/société civile, ne doivent-elle pas être réinterrogées (Levillain, 2014 ; Mäkinen, 2014) ? Quant aux travaux sur la political CSR, qui se démarquent des travaux de corporate political activity avant tout par l’attention portée à la fourniture de biens ou services publics par des entreprises (en remplacement de l’Etat), jusqu’où peut-on voir en eux un possible nouveau paradigme ?

Telles sont, à titre illustratif et sans exclure d’autres types de contributions, certaines des questions qui seront abordées dans ce colloque.

Le colloque est résolument ouvert à des travaux issus de diverses disciplines : histoire, sciences de gestion, sciences politiques, bien sûr – mais aussi économie, sociologie, philosophie, etc.

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Références citées

Baron, D. P. (1995). Integrated strategy: Market and nonmarket components. California management review, 37(2), 47-65.
Basso, O. (2015). Politique de la très grande entreprise: leadership et démocratie planétaire. Presses universitaires de France.

Boddewyn, J. J. (2016). International business–government relations research 1945–2015: Concepts, typologies, theories and methodologies. Journal of World Business, 51(1), 10-22.
Chari, R., Hogan, J., Murphy, G., & Crepaz, M. (2020). Regulating lobbying: a global comparison. Manchester University Press.

Christensen, J. G. (2011). Competing theories of regulatory governance: reconsidering public interest theory of regulation. Handbook on the politics of regulation, 96-110.
Coll, S. (2012). Private empire: ExxonMobil and American power. Penguin.
Crane, A., Matten, D., & Moon, J. (2008). The emergence of corporate citizenship: Historical development and alternative perspectives. Handbook of research on global corporate citizenship, 25-49.

Croley, S. P. (2011). Beyond capture: Towards a new theory of regulation. Handbook on the politics of regulation, 50-69.
Debouzy, M. (dir.) (1988). Paternalismes d’Hier et d’Aujourd’hui. Numéro spécial de la revue Le mouvement social, (144), 3-109.

Djelic, M. L., & Etchanchu, H. (2017). Contextualizing corporate political responsibilities: Neoliberal CSR in historical perspective. Journal of Business Ethics, 142(4), 641-661.
Doh, J., McGuire, S., & Ozaki, T. (2015). The Journal of World Business Special Issue: Global governance and international nonmarket strategies, Journal of World Business, 50(2), 256-261.

Epstein, E. M. (1969). The corporation in American politics. Prentice Hall.
Frynas, J. G., & Stephens, S. (2015). Political corporate social responsibility: Reviewing theories and setting new agendas. International Journal of Management Reviews, 17(4), 483-509.
Hadani, M., Bonardi, J. P., & Dahan, N. M. (2017). Corporate political activity, public policy uncertainty, and firm outcomes: A meta-analysis. Strategic organization, 15(3), 338-366.
Hadani, M., Doh, J. P., & Schneider, M. (2019). Social movements and corporate political activity: Managerial responses to socially oriented shareholder activism. Journal of Business Research, 95, 156-170. Hillman, A. J., Keim, G. D., & Schuler, D. (2004). Corporate political activity: A review and research agenda. Journal of Management, 30(6), 837-857.
Hommel, T. (2006). Paternalisme et RSE: continuités et discontinuités de deux modes d’organisation industrielle. Entreprises et histoire, (4), 20-38.
Kobrin, S. J. (2015). Is a global nonmarket strategy possible? Economic integration in a multipolar world order. Journal of World Business, 50(2), 262-272.
Lawton, T., McGuire, S., & Rajwani, T. (2013). Corporate political activity: A literature review and research agenda. International Journal of Management Reviews, 15(1), 86-105.
Levillain, K., Segrestin, B., & Hatchuel, A. (2014). Repenser les finalités de l’entreprise. Revue française de gestion, (8), 179-200.
MacKenzie, N. G. (2018). Creating Market Failure: Business-Government Relations in the British Paper- Pulp Industry, 1950–1980. Business History Review, 92(4), 719-741.
Mäkinen, J., & Kasanen, E. (2016). Boundaries between business and politics: A study on the division of moral labor. Journal of Business Ethics, 134(1), 103-116.
Oliver, C., & Holzinger, I. (2008). The effectiveness of strategic political management: A dynamic capabilities framework. Academy of Management Review, 33(2), 496-520
Scherer, A. G., & Palazzo, G. (2011). The new political role of business in a globalized world: A review of a new perspective on CSR and its implications for the firm, governance, and democracy. Journal of management studies, 48(4), 899-931.
Scherer, A. G., Rasche, A., Palazzo, G., & Spicer, A. (2016). Managing for political corporate social responsibility: New challenges and directions for PCSR 2.0. Journal of Management Studies, 53(3), 273-298. Shaffer, B. (1995). Firm-level responses to government regulation: Theoretical and research approaches. Journal of management, 21(3), 495-514.
Stigler, G. J. (1971). The theory of economic regulation. The Bell journal of economics and management science, 3-21.
Vernon, R. (1971). Sovereignty at bay: The multinational spread of US enterprises, New York, Basic Books. Waterhouse, B. C. (2015). Lobbying America: The politics of business from Nixon to NAFTA, Princeton University Press.

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Déroulement

30 septembre 2020 – Date-limite de réception des short papers 30 octobre 2020 – Notification d’acceptation/rejet aux auteurs 30 janvier 2021 – Date-limite de réception des full papers
2-3 avril 2021 – Tenue du colloque à Paris

A l’issue du colloque, une sélection d’articles sera publiée dans un numéro spécial de la revue Entreprises et Histoire, à paraître en septembre 2021.

Indications aux auteurs

Les propositions de communication (short et full papers) sont à envoyer à l’adresse suivante :

Short papers (30 septembre 2020)
Longueur attendue : 10.000 à 12.000 signes maximum (soit 3 à 4 pages Times New Roman 12 en interligne 1) – hors résumé et hors références bibliographiques (incluses en notes de bas de page).

Le résumé (2000 signes max.) devra faire apparaître clairement :

  • –  la thèse défendue dans la communication,
  • –  la contribution scientifique visée par la communication,
  • –  l’état de l’art,
  • –  la méthodologie (sources ou matériau, méthode d’analyse),
  • –  les résultats obtenus, en cours ou attendus (d’ici la finalisation du full paper),
  • –  la discussion de la portée et des implications de ces résultats.

    Ne pas dépasser trois niveaux de titre (par exemple : I., A., 1. ; ou 1, 1.1., 1.1.1).
    Les tableaux, schémas, illustrations, etc. sont placés dans le corps du texte, au moment où il est fait référence à ces éléments.

    Mode de citation des références : mention dans le texte de la référence (nom, année, page) + renvoi en note de bas de page pour la référence complète

    Police du texte : Times New Roman ; taille : 12
    Interligne 1,5
    Texte justifié
    Marges : 2,5 en bas, en haut, à droite, à gauche
    Espacement avant et après les paragraphes : 0 ; les paragraphes sont créés par des sauts de ligne.

    Full papers
    La longueur des full papers pour le colloque est comprise entre 30 000 et 45 000 signes. Aucune communication n’aura lieu au colloque sur la seule base d’un short paper : c’est l’envoi du full paper qui permet, après acceptation du short paper, d’être programmé dans le colloque.

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