Revue Entreprise & société (ENSO) Appel à contributions La relation entreprise et société en débat

Le débat autour de l’entreprise, sa définition, son statut, son régime de gouvernance, est récurrent ; il ne se pose pas seulement au niveau académique, mais présente des dimensions praxéologiques évidentes. En conséquence, pour bien l’analyser, ce débat nécessite de croiser les regards de différentes disciplines du champ des SHS afin de pouvoir le contextualiser en fonction des caractéristiques spatio-temporelles, économiques, juridiques, politiques et culturelles des communautés humaines concernées.

 

La plupart des grands pays occidentaux ont connu à plusieurs reprises un tel débat, depuis le début des grandes aventures entrepreneuriales qui ont marqué l’économie et la société de ces pays jusqu’à nos jours (cf  Vérin H., 1982-2011; Carvais R. & al, 2017). Pour  prendre le siècle écoulé, aux USA, les observations initiales sur le pouvoir managérial (A. Berle et G. Means, 1932) ont donné lieu, par réaction, à une revalorisation du rôle des actionnaires, codifiée via la théorie de l’agence (M.C. Jensen et W.H. Meckling, 1976) ; primauté qui, à son tour, a été partiellement mise en cause au profit d’une conception plus large des « parties prenantes » (R.E. Freeman, 1984). En Europe, le débat sur l’entreprise a été vif en Allemagne après 1945 et a abouti à un régime spécifique dit de « co-détermination » Mitbestimmung – (P-Y. Gomez , P. Wirtz, 2008). En France, il a eu lieu de manière épisodique  (F. Bloch-Lainé, 1963, F. Bloch-Lainé F. et F. Perroux, 1966 ; P. Sudreau, 1975),

Plus récemment, les réflexions autour de l’entreprise, de sa définition conceptuelle, de sa finalité par rapport à la société et, en retour, de son statut  institutionnel, se sont renouvelées à partir  de diverses voies :

–  Les juristes ont été amenés à intervenir dans ce débat en précisant les droits de ces différentes parties prenantes, voire la définition même d’une société via les articles 1832-33 du Code Civil et sur la possibilité de modifier ces articles pour y introduire une conception plus large de l’objet social.  (B. Segrestin & A. Hatchuel, 2012 ; B. Segrestin, B. Roger, S. Vernac, 2014 ;  O. Favereau, B. Roger, 2015… )

– Les économistes ont accompagné ces réflexions en mettant l’accent sur les externalités, i.e. les effets hors marché (positifs ou négatifs) qui accompagnent les relations marchandes et les voies et moyens de faire prendre en compte les externalités négatives par les entreprises, soit par le respect de normes/principes/règles de comportement (constituant la « soft law »), soit par une réglementation plus contraignante (loi tout court ou « hard law »).

– Les chercheurs et professionnels en comptabilité, audit et analyse financière se sont progressivement impliqués, sous des formes et avec des problématiques contrastées ;

– dans un premier temps, la mainmise de la finance de marché sur les outils de comptabilité-audit est apparue comme irréversible avec la déferlante des IFRS (International Financial Reporting Standards) et ses concepts de base comme la fair value.

–  la critique des IFRS a amené à définir des outils complémentaires d’analyse. C’est ainsi que de nouveaux opérateurs ont été mis au point ou pour apprécier les performances « extra financières » et pour permettre une évaluation plus globale : critères dits ESG, Triple Bottom Line (TBL), Integrated Reporting (IR),  Guidelines du GRI, norme ISO 26000…

– certains chercheurs vont encore plus loin et proposent un nouveau cadre conceptuel comptable ; ainsi ave le modèle CARE (J. Richard, 2012)

 

Ces diverses voies d’élargissement/renouvellement des méthodes et outils d’évaluation ont été mises en œuvre – ou a minima expérimentées –  par un certain nombre d’acteurs professionnels, via l’adjonction de nouvelles missions à celles qu’ils exerçaient, ou s’y consacrant totalement. Ainsi, on notera les activités d’organismes dédiés à l’ISR comme Novethic, d’agences de notation RSE comme VIGEO, de cabinets de consultants comme Utopies ou Prophil, de cabinets d’expertise comptable comme Compta-durable

 

A coté de ces différentes initiatives s’intéressant à l’ensemble des partenaires de l’entreprise – notamment externes – pour prendre en compte les nouvelles demandes en termes de protection de l’environnement ou d’aspirations sociétales, se perpétue le projet de mieux associer les salariés à la vie des entreprises, y compris privées, entités dont ils constituent les partenaires internes.

 

Parfois, ces prise de positions ont été collectives, regroupant des personnes représentatives des différentes catégories référencées ci-dessus ; ainsi  le « plaidoyer en faveur d’une économie de marché responsable » (Le Monde, 16 novembre 2016)  ou l’ « Appel pour la co-détermination » (Le Monde, 6 octobre 2017)

Compte tenu de l’ampleur du débat, les responsables politiques ont été amenés à intervenir ; ainsi, pour la France, la mission Notat-Senard sur « Entreprise et intérêt général »  et la consultation publique préparatoire à un projet de loi dit « Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises »  (PACTE )

 

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La revue Entreprise & société (ENSO) ne pouvait rester indifférente à la résurgence d’un tel débat dont la thématique se situe au cœur même de son champ éditorial et en continuité avec les séries d’Economies et sociétés qui l’avaient  précédée[1] .

 

Dans le dossier thématique qu’elle souhaite consacrer à ces sujets, une grande diversité de propositions seront éligibles, dans le respect des orientations éditoriales de la revue (pluridisciplinarité effective, diversité assumée, science en conscience, francophonie ouverte au dialogue international)

Les propositions pourront ainsi concerner :

l’analyse de mesures générales concernant l’ensemble des entreprises (par exemple la modification des articles 1832-33 du Code Civil français définissant une société) ou de mesures particulières concernant, ici les entreprises publiques ou semi-publiques, là les entreprises relevant de l’ESS (Economie sociale et solidaire), voire relevant de statut mixte (comme les B-Corp aux USA ou le projet SOSE en France).

L’analyse des différentes formes que peut pendre l’association des salariés à la vie des entreprises :  simple participation aux résultats via des formules d’intéressement, participation au débat pré-décisionnel via des instances consultatives, participation à la gouvernance via des représentants de salariés dans les instances dédiées,  participation directe à la gestion pouvant aller jusqu’à la self governance – self organisation recommandée par E. Ostrom pour la gestion des « common-goods resources ».

– L’analyse des « parties prenantes » (stakeholders), au-delà des seuls actionnaires (shareholders), en distinguant entre les partenaires internes que sont les salariés et les partenaires externes qui sont de divers types et dont les intérêts sont distincts, voire contradictoires entre eux et avec ceux des partenaires internes.

– L’analyse des outils de mesure et d’évaluation. Cela concerne notamment la comptabilité et les IFRS,  les critères de l’analyse extra-financière, voire de nouveaux cadres conceptuels comptables intégrant différentes dimensions.

Sur ces différents sujets, des comparaisons entre époques et entre pays seront appréciées.

 

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Modalités de présentation

Ce dossier thématique concerne le numéro 5 d’ENSO, prévu au printemps 2019, les propositions d’articles devront être envoyées à la rédaction avant le 31 juillet  2018.

Ces propositions sont à envoyer  sur le mail dédié :  avec copie à la coordinatrice de ce dossier thématique : Elisabeth Walliser

 

Processus d’évaluation :

Entreprise & Société a mis au point une procédure d’évaluation qui se veut à la fois rigoureuse et pro-active. Dans cette perspective, la revue a décidé de mettre en place un dispositif d’accompagnement spécifique permettant un dialogue constructif avec les auteurs.

Les étapes du processus de publication sont les suivantes :

1 – Les textes proposés seront examinés par l’équipe éditoriale qui désignera, pour chaque article ou dossier, un correspondant référent chargé d’être l’interlocuteur du/des auteur(s).

2 – Si les propositions sont jugées conformes à la politique éditoriale de la revue, elles feront l’objet d’une procédure classique d’évaluation dite « en double aveugle ».

3 – Après navette éventuelle, le comité de rédaction décidera, en dernier ressort, de la publication de l’article.

4 – Avant publication, un séminaire de pré-publication est proposé aux auteurs dont les articles auront été retenus.

5 – Durant ou après ce séminaire, les auteurs peuvent encore modifier leurs propositions par rapport à leur envoi initial, en fonction des recommandations et commentaires reçus.

Durant tout le processus d’évaluation, les auteurs s’engagent à ne pas soumettre l’article à une autre revue

 

Références :

 

Berle A., Means G. (1932), The modern corporation and private property, NY, Transaction Publ.

Bloch-Lainé F. (1963), Pour une réforme de l’entreprise, Paris, Seuil

Bloch-Lainé F., Perroux F. (Eds) (1966), L’entreprise et l’économie du XX° siècle, Paris, PUF

Capron M., Quairel-Lanoizelée F. (2015), L’entreprise dans la société, Paris, La Découverte

Carvais R. & al (Eds) (2017), Penser la technique autrement XVIe-XXIe siècle, Paris, Classiques Garnier

Chanteau J-P., Martin-Chenut K., Capron M. (Eds) (2017), Entreprise et responsabilité sociale en questions – Savoirs et controverses, Paris, Garnier

Coriat B. (ed) (2015), Le retour des communs. La crise de l’idéologie propriétaire, Paris, LLL

Favereau O., Roger B. (2015), Penser l’entreprise – Nouvel horizon du politique, Paris, Parole et silence (Collège des Bernardins)

Freeman R.E. (1984), Stategic Manangement: a stakeholder approach, Marshall, Pitman

Giraud G, Renouard C. (Eds) (2012), 20 Propositions pour réformer le capitalisme, Paris, Flammarion

Gomez P-Y, Wirtz P. (2008), « Institutionnalisation des régimes de gouvernance et rôle des institutions-socles : le cas de la cogestion allemande », Economies et sociétés, XLII, n° 10, p 1869-1900

Hurstel D. (2013), Homme, entreprises, sociétés – Restaurer la confiance, Paris, Eyrolles

Jensen M.C. (2001), “Value maximizaton, stakeholder theory and the corporate objective function”, Journal of Applied Corporate Finance, V 14, n° 3, p 8-21

Jensen M.C., Meckling W.H. (1976), “Theory of the firm: management behavior, agency costs and capital structure”, J. of Financial Economics, v.3, oct., p 5-50

Lyon-Caen A., Urban Q. (Eds) (2012), La crise de l’entreprise et de sa représentation, Paris, Dalloz

Ostrom E. (1990), Governing the Commons – The evolution of institutions for collective action, Cambridge Uni. Press (tr. fr: gouvernance des biens communs, Bruxelles, De Boeck)

Pérez R. (2009), La gouvernance des entreprises, La Découvertes (Repères)

Perroux F. (1960), Economie et société – contrainte, échange, don, Paris, PUF

Pesqueux Y. (2007), Gouvernance et privatisation, Paris, PUF

Richard J. (2012), Comptabilité et développement durable, Paris, Economica

Robé J-Ph. (2015), Le Temps du monde de l’entreprise : globalisation et mutation du système juridique, Paris, Dalloz

Segrestin B., Hatchuel A. (2012), Refonder l’entreprise, Paris, Seuil

Segrestin B., Roger B., Vernac S. (Eds) (2014), L’entreprise, point aveugle du savoir, Auxerre, Sciences Humaines Editions

Sudreau P. (Ed) (1975),  La réforme de l’entreprise, Paris, La Documentation française & Editions 10/18

Vérin H. (2011), Entrepreneurs, entreprises. Histoire d’une idée, Paris, Classiques Garnier

 

 

[1] Cf les travaux cités supra de F. Perroux et les numéros de la série K consacrée à l’économie de l’entreprise

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