Le projet du GT-RIODD
Ce GT se concentre sur les transitions socioécologiques, analysées à travers des approches critiques et pluriverselles, au regard des notions de justices. Il a pour objectif de documenter et d’analyser les mutations actuelles de diverses communautés (i.e. académiques, économiques, étatiques, industrielles, militantes, ONG, etc.) face aux défis écologiques et sociaux.
Initié au congrès RIODD 2022 d’Aubervilliers par la publication du numéro spécial Décoloniser la RSE : Perspectives critiques de la Revue de l’Organisation Responsable, ce projet collectif s’est consolidé avec l’intégration progressive de chercheuses et chercheurs ; de praticiennes et praticiens et de cas d’étude concrets durant les éditions 2023 et 2024 du congrès de l’association. Révélant une dynamique de recherche en constante évolution, le GT prend racine dans le constat, partagé, que la capacité des actrices/acteurs, publics et privés, à concevoir et mettre en œuvre des politiques socioécologiques justes et efficaces est aujourd’hui fragilisée.
L’année 2025 marque une étape importante dans la diffusion des travaux critiques et la légitimation progressive des approches du GT dans le paysage académique, puisque ses travaux se matérialisent par différentes publications, prises de paroles et un intérêt marqué, par une large communauté scientifique, envers la session du GT au congrès de Toulouse.
Equipe coordinatrice
- Celine BERRIER-LUCAS, Professeure Associée en RSE – ISG, Paris
- Marie FALL, Professeure de géographie et coopération internationale – Université du Québec à Chicoutimi
- Lovasoa RAMBOARISATA, Professeure au département de stratégie, responsabilité sociale et environnementale – ESG UQAM, Montréal
- Dimbi RAMONJY, Professeur associé en Stratégie & RSE – Excelia business school, La Rochelle
Fondements théoriques : vers une épistémologie décolonisée et pluriverselle
Le projet scientifique se structure depuis 2022 autour de trois fondements : i) la justice épistémique légitimant la pluralité des savoirs ; ii) le Plantationocène qui repolitise l’Anthropocène via la critique de la domination coloniale ; et iii) le pluriversalisme, comme alternative au discours universaliste occidental.
Toujours fidèle à cette ambition mais voulant s’ouvrir à d’autres perspectives critiques, le groupe de travail adhère à une acception plurielle de la critique, similaire à celle énoncée par Arnaud et al. (2023 , p.4) :
« (…) l’étymologie du mot critique, qui le rapproche du mot crise, donne une idée de ce que devrait être la recherche critique ou la construction de connaissances de rupture, et ce, plus spécifiquement dans le champ des transitions socio-écologiques (Blanchet et Berrier-Lucas, 2021). Crise, discernement et renouvellement sont les invariants des différents courants se réclamant de la critique. Ainsi, une arène pluraliste émerge, orientée vers la déconstruction des évidences dominantes, la résistance aux hégémonies et l’imagination active d’alternatives, au croisement des traditions critiques et décoloniales. »
(Arnaud, C., Ramboarisata, L., Berrier-Lucas, C. et Blanchet, V. (2023). Des recherches critiques au cœur des transitions dans le champ Business & Society, Revue de l’Organisation Responsable, Vol. 18 n°3, p. 3-12)
Défis méthodologiques et résistances épistémiques formant le contexte réflexif du GT
Cette effervescence pose aux universitaires et à leurs partenaires / collaboratrices collaborateurs le défi d’articuler des savoirs ancrés dans des réalités de luttes pour l’émancipation et la justice épistémique, afin d’élargir les imaginaires politiques et de renforcer les possibilités de coalition. Il s’agit d’adopter une approche critique ancrée et élargie, combinant déconstruction/contestation et résistance/(re)construction d’alternatives.
Dès lors, le GT se propose de travailler sur la mise en évidence de défis voire de limites méthodologiques persistants. Le principal obstacle réside dans les silos disciplinaires et théoriques. Ceci freine l’enrichissement mutuel des perspectives critiques ainsi que l’émergence d’un véritable dialogue, limitant ainsi la capacité collective à déconstruire les injustices et à inventer des pratiques inclusives.
L’ambition du GT : faire de la transdisciplinarité une conversation féconde entre chercheuses/chercheurs et actrices/acteurs de terrain, en rassemblant des perspectives variées autour des approches critiques afin de souligner leur pertinence dans l’évolution des connaissances, des pratiques et des pédagogies sur les justices socio-écologiques et épistémiques.
Dynamiques collaboratives du GT
Le GT a évolué en s’élargissant à de multiples disciplines et à une pluralité de territoires – Madagascar, Haïti, Guatemala, Cameroun, France, Belgique, Liban, Palestine, Canada-Québec – tout en intégrant des collectifs engagés dans la justice environnementale, sociale et épistémique (tels que ATD Quart-Monde, Mères au front, Paroles d’excluES). Cette dynamique collaborative engage les académiques et les actrices et acteurs de terrain, conformément aux perspectives décoloniales, à valoriser les savoirs situés et les expériences vécues comme sources légitimes de connaissances.
Par la création d’espaces sécuritaires, le GT promeut l’expression des voix marginalisées et soutient la visibilité des alternatives locales au modèle dominant du Plantationocène, renforçant ainsi l’inclusivité des pratiques épistémiques. Protéger les voix non entendues, marginalisées et créer des conditions propices à l’expression de perspectives alternatives est indispensable pour garantir l’inclusivité et l’innovation dans la recherche collaborative.
Trois axes structurent alors les orientations de recherche du groupe de travail :
- Qualifier le potentiel de déconstruction, d’innovation et de réinvention des approches critiques face à la crise écologique et aux injustices socio-écologiques.
- Décoloniser les savoirs théoriques et pratiques pour accompagner les transitions et promouvoir les justices socio-écologiques.
- Décomplexer les chercheuses et chercheurs et les approches issues des périphéries, en déhiérarchisant les rapports centre/périphérie et les relations de pouvoir.
Ce groupe de travail encourage la participation des chercheuses et chercheurs qui adhèrent aux approches critiques et qui proposent ou analysent des discours, des pratiques, des modes d’organisation, des méthodes, des pédagogies, des outils ou des récits visant à rendre les transitions socioécologiques plus justes. Les concepts de justice épistémique, de déhiérarchisation et de décolonialité sont au cœur des préoccupations de notre collectif, mais nous maintenons et défendons une ouverture à la pluralité des paradigmes critiques et à l’innovation méthodologique.
Les actualités du GT
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