Hommage du RIODD à Michel AGLIETTA

L’économiste Michel Aglietta est décédé le 24 avril dernier. C’est une perte immense pour les économistes institutionnalistes tant son œuvre fut inspirante.

Avec Robert Boyer et d’autres, s’est ainsi développée une approche régulationniste qui a contribué au renouveau actuel de l’institutionnalisme.

Avec la publication de son ouvrage de 1976 Régulation et crises du capitalisme (enrichi par un non moins lumineux « Avant-propos à la deuxième édition » en 1982), Michel Aglietta a en effet initié un programme de recherche majeur qui rompait avec l’économicisme et l’individualisme de l’approche standard en même temps qu’avec le déterminisme des interprétations du marxisme de l’époque. Le concept de régulation reprend au marxisme le constat des antagonismes existants dans toute société et donc qu’aucun ordre social ne peut exister sur la seule base de la rationalité ou de l’empathie individualiste.

D’où la question fondatrice de l’approche régulationniste : « Comment une cohésion sociale peut-elle exister dans le déchirement des conflits ? ». Comme le résume André Orléan, «la théorie de la régulation y répond en mettant en avant le rôle que jouent les institutions sociales en général, et non pas les seuls marchés, dans la codification et la stabilisation provisoire des antagonismes qu’engendrent la production et l’accaparement».

Ceci suppose une enquête historique et sociologique, démarche empirique pour caractériser ces constructions institutionnelles à commencer, pour le capitalisme, par les formes institutionnelles du rapport salarial et du rapport marchand. Le marché ne se confond donc pas avec le capitalisme. La monnaie n’est pas une simple commodité pratique pour l’échange commercial mais une institution constitutive d’un ordre social d’abord religieux, puis militaire avant d’être l’instrument politique d’un ordre économique. Et ces institutions ne sont donc pas figées, ce ne sont pas des « lois » éternelles : outre les formes du rapport salarial et du rapport marchand, les luttes sociales peuvent instituer de nouveaux rapports fondamentaux (sur les questions de genre, d’écologie, etc. – voir les développements récents dans l’ouvrage collectif Théorie de la régulation, un nouvel état des savoirs (Dunod, 2023)) et le capitalisme, comme tout ordre social, naquit historiquement des crises d’un ordre antérieur, engendre ses propres crises par lesquelles il se transforme et se décomposera un jour.

La question sociale est donc inhérente à la recherche de Michel Aglietta, d’abord dans ses analyses de la crise des années 1970 avec Robert Boyer, de la crise du salariat avec Anton Brender ou Antoine Rébérioux, et plus récemment avec la crise écologique. Avec Espagne , il insistait sur la dimension politique et collective d’une transition vers des « régimes de viabilité » qui ne peut réussir sans prendre en compte les inégalités : « l’écologie politique est ainsi le cadre nécessaire pour articuler justice, durabilité et action collective face à l’urgence climatique ».

On voit donc à quel point l’approche initiée par Michel Aglietta est une référence majeure pour le RIODD. Au-delà du rôle séminal qu’il a joué pour les économistes, allant bien au-delà des seuls économistes dits «régulationnistes», son apport n’existe que par une pratique ouverte et pluridicisplinaire, un échange constant avec d’autres courants institutionnalistes, avec l’histoire, l’anthropologie, etc. Enfin, son écoute toujours attentive et la qualité de ses dialogues, notamment avec les jeunes chercheurs, est aussi un modèle inspirant.