Parution – Article de J. Couppey-Soubéran – Sciences Humaines, mars 2017 : « D’où viendra la prochaine crise financière ? « 

Depuis la crise financière de 2008, des dispositifs de régulation ont été mis en place pour éviter un nouveau Krach financier mondial. Mais seront-ils vraiment suffisants ?

La crise financière enclenchée en 2007-2008 avait ouvert une fenêtre d’opportunité pour une profonde réforme du système financier car, comme le disait Jean Monnet, « les hommes n’acceptent le changement que dans la nécessité et ils ne voient la nécessité que dans la crise ». Et, de fait, quelques réformes ont eu lieu pour relever les digues autour du secteur bancaire et financier, l’assainir et en prévenir l’instabilité.

En Europe, les principales mesures concernent la solidité des banques, la réorganisation de leur surveillance et leur résolution en cas de défaillance. Aux États-Unis, la loi Dodd-Frank a été adoptée en réponse à la crise. Elle vise également à mieux contrôler les secteurs bancaires et financiers.

Ses réformes vont dans le bon sens mais elles n’ont pas été menées assez loin alors même qu’aux États-Unis comme en Europe leur temps semble déjà révolu.

Les stress tests

Les banques sont-elles plus solides qu’avant la crise ? Le comité de Bâle qui réunit les superviseurs bancaires du monde entier a, en 2010, fait signer un accord permettant de renforcer les fonds propres des banques (c’est-à-dire augmenter leur capital et réserves proportionnellement aux risques de leurs actifs, pour être en mesure de faire face à des pertes éventuelles). Par la suite, les banques centrales (Fed, BCE, Banque d’Angleterre), ont procédé à des exercices de stress tests (qui simulent des scénarios de dégradation de l’environnement économique pour observer la capacité des banques à y faire face). Ces tests, pratiqués régulièrement depuis la crise, semblent donner des résultats rassurants. Cependant, en dépit de cette communication des banques centrales, des zones de fragilités résiduelles persistent.

Ainsi, en octobre 2015, la BCE avait dû réévaluer de presque 20 % le montant des créances douteuses (c’est-à-dire des actifs difficilement recouvrables) inscrites au bilan des 130 banques évaluées. Les banques italiennes, et tout particulièrement la Monte dei Paschi avec ses 39 % de créances douteuses, apparaissaient alors comme les plus fragiles d’entre toutes. Un autre stress test de la BCE, en juillet 2016, faisait également ressortir la Deutsche Bank parmi les banques les plus fragiles. Or, cette dernière fait partie des « banques systémiques », c’est-à-dire celles dont la chute en emporterait d’autres avec des conséquences désastreuses pour l’économie. La Deutsche Bank figure en effet parmi les trente groupes bancaires systémiques que le Conseil de stabilité financière recense depuis 2013. La moitié d’entre eux sont d’origine européenne. Chacun « pèse » en taille de bilan à peu près l’équivalent du produit intérieur brut de son pays d’origine ! La faillite d’une banque telle que la Deutsche Bank en Allemagne serait à cet égard bien plus lourde de conséquences que celle de la Monte dei Paschi en Italie. Chacune de ces deux banques met à sa façon au défi l’Union bancaire de la zone euro, certes indispensable mais dont on ne sait pas encore si elle permettra de restructurer ou fermer les banques en difficultés en évitant de mettre en première ligne le contribuable et de déstabiliser l’économie.

Titres et opérations sur produits dérivés

Il resterait beaucoup à faire pour rétablir la solidité financière des banques, plus encore pour réorienter leur activité au service de l’économie réelle. À cela, les réformes ne se sont guère attaquées : les grandes banques européennes restent tournées bien davantage vers les marchés de titres (1) et de produits dérivés (2) que vers le financement de l’économie réelle. Le crédit aux entreprises non financières ne dépasse guère 15 % du bilan des banques de la zone euro (donc 5 % pour le crédit aux PME). Cela signifie que les banques spéculent sur la valeur des titres plus qu’elles aident les entreprises à investir. La reprise actuelle du crédit correspond en grande partie à l’essor du secteur immobilier : sa croissance est certes stimulante à court terme pour la croissance économique, mais porteuse d’instabilité financière à plus long terme. Globalement, l’activité des banques reste focalisée sur des titres et les opérations sur produits dérivés. Les montants des engagements des grandes banques restent absolument gigantesques : pour Barclays, Deutsche Bank, BNP Paribas, à peu près vingt fois le PIB de leur pays respectif. Certes ce sont des montants « notionnels » qui ne correspondent pas forcément à un risque encouru  (3) mais ils traduisent l’intensité des opérations spéculatives de marché et les interconnexions entre les établissements financiers. Sur les marchés dérivés comme sur tant d’autres segments, les grandes banques sont en position dominante. Leurs poids leur confèrent un « pouvoir de marché » énorme. Elles ont usé et abusé de ce pouvoir et ont pour cela même fait l’objet de sanctions : Deutsche Bank a, par exemple, écopé d’une sanction fixée au terme d’un accord avec la justice américaine fin 2016 à 7 milliards de dollars pour avoir trompé ses clients-créanciers sur la qualité de produits issus de crédits subprimes… Les quelque 200 milliards de dollars de sanctions auxquels ont été condamnées toutes ces grandes banques depuis la crise témoignent d’une nouvelle sévérité louable des régulateurs financiers, autant que de l’ampleur des dérives bancaires jusqu’à la crise.

Une période de calme législatif

Aux états-Unis, la réforme bancaire et financière a été menée dans le cadre des lois Dodd-Frank, exigeant que les banques soient plus capitalisées, ne spéculent plus pour elles-mêmes et réduisent leurs liens avec les hedge funds (règles Volcker), une meilleure protection des consommateurs, une meilleure organisation des marchés (dérivés notamment), de nouvelles autorités de régulation et des pouvoirs renforcés pour la Fed, pour l’autorité des marchés, etc.

Mais alors qu’il aurait fallu s’assurer de l’entrée en application de ces réformes, les poursuivre, les approfondir, la fenêtre se referme déjà. De part et d’autre de l’Atlantique, gouvernants et régulateurs y voient un frein à une croissance encore faible. Donald Trump a promis de défaire la loi Dodd-Frank. De son côté, la Commission européenne entend « le besoin (exprimé par les banques) d’une période de calme législatif » et ne compte plus se montrer trop exigeante à leur égard. Une nouvelle phase de dérégulation financière est en passe de s’ouvrir qui pourrait dangereusement élever le risque d’une prochaine crise financière.

D’où viendra donc la prochaine crise financière ? D’un secteur bancaire toujours fragile ? D’expositions toujours colossales sur les marchés dérivés, du resserrement de la politique monétaire américaine ? Nul ne le sait. Ce qui est certain, en revanche, c’est qu’en cas de nouveau tsunami financier, les petites digues installées ne nous protégeront pas. A fortiori si on les défait déjà !

Jézabel Couppey-Soubeyran

Enseignante-chercheure à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et conseillère éditoriale au CEPII, spécialiste des banques et des systèmes financiers, elle a publié, entre autres, Blablabanque. Le discours de l’inaction, Michalon, 2015.

Mots-clés :

NOTES

  1. Marché de titres
    Marchés boursiers, obligataires, monétaires… sur lesquels les entreprises, les États se financent en émettant des titres que les investisseurs achètent et peuvent aussi revendre. Utiles au financement de l’économie, ces marchés peuvent se révéler instables lorsque la spéculation y est trop forte.

  1. Produits dérivés
    Instruments de transfert de risque, échangeables à une échéance et un prix fixés dans un contrat dit à terme. Les risques échangés sont extrêmement variés : risque de plus ou moins value sur les marchés d’actions, risque de hausse ou de baisse d’un taux de change, d’un taux d’intérêt, d’une matière première, etc. Les réformes visent à améliorer leur organisation, la transparence des opérations… pour réduire l’instabilité de ces marchés hautement spéculatifs.

  1. Un montant notionnel est un montant théorique d’opérations – par exemple 100 000 dollars achetés à terme contre des euros. Le risque de perte encouru n’est équivalent qu’au pourcentage de baisse éventuelle de l’euro à l’échéance du contrat.

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